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  • L'Incorrigible Correcteur

Cum Servare


Il est des expressions dont, spontanément, nous nous figurons qu'elles correspondent à des déformations ou des altérations, progressives ou plus ou moins récentes, de la langue française ; figées par et dans la pratique, en dépit du bon sens comme du sens des mots.



Car c'est essentiellement une problématique de (double) sens qui va nous intéresser ici. En effet, si l'expression « aller de conserve » rentre indubitablement dans cette catégorie de mal-aimés que d'aucuns vouent aux gémonies, ce n'est pas seulement en raison de l'utilisation, il est vrai infiniment plus courante, de l'expression de concert, et de la ressemblance phonétique entre les deux — qui peut laisser entendre que la première ne serait qu'un dérivé faussaire de la seconde. De fait, c'est la difficulté à saisir, dans un tel contexte, le sens du mot conserve, là où celui du terme concert semble aller de soi, qui alimente une (double) incompréhension.


En effet, l'expression « aller de concert » a, elle-même, des origines souvent mal comprises : se rattachant, non au simple fait d'agir ensemble comme le ferait un orchestre, mais à l'acception première du mot concert (qui donnera plus tard concertation), elle implique nécessairement un accord préalable, une communauté de vues entre les personnes qui agissent. Celles-ci doivent se trouver sur la même ligne — ou sur la même partition, pourrait-on dire, si l'on désirait, malgré tout, introduire quelques nuances musicales dans l'univers brutal de la grammaire et des étymologies concurrentes.


Cette idée d'une volonté commune, préalable à l'action, semble représenter l'unique différence — la chose n'est pas nécessairement très claire, y compris lorsqu'on compare le sens premier des deux tournures — entre de concert et de conserve : cette dernière variante, tout à fait juste au demeurant, trouvant quant à elle son origine dans la langage maritime, plus précisément au XVIe siècle, durant l'âge d'or de la piraterie. C'est en effet sous la menace des flibustiers de tout poil que des navires prirent l'habitude de se regrouper et d'effectuer leurs traversées ensemble, réalité d'abord traduite par le verbe conserver (du latin cum servare, littéralement « garder ensemble ») puis par l'expression « naviguer de conserve », entrée par la suite dans la langue courante pour désigner une action commune, quel que soit le contexte.


L'on notera d'ailleurs que cet aspect historique et pratique devrait rendre caduque la distinction relevée plus haut, puisque c'est bien après s'être concertés que des navigateurs décidaient de naviguer, là encore, sur la même ligne (tournure ici strictement maritime dont on relèvera qu'elle se retrouve dans l'équivalent allemand d'aller de conserve, auf gleicher Linie gehen).












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